Sébastien Chauffour, directeur commercial d’Eridanis, cabinet de conseil en innovation spécialisé dans l’Internet des Objets, témoigne de son expérience et de la dynamique sans précédent de son marché.
Pourriez-vous présenter les missions et les spécificités d’Eridanis ?
Fondée en septembre 2014, Eridanis est un architecte de solutions IT, avec une très bonne connaissance de l’écosystème et une vraie spécification Internet des Objets. Nous avons également un laboratoire et n’hésitons pas à mettre les mains dans le cambouis. Lorsque nous allons chez nos clients, nous mettons les bottes en caoutchouc, les gants et les caques et allons sur le terrain. Nous observons les problématiques qui pourraient être résolues par de l’IoT ou de la digitalisation et réalisons des prototypes, des POCs (Proof of concept – Démonstration de faisabilité ) ou des expérimentations.
Nous sommes des spécialistes des réseaux bas débit, déployons beaucoup d’objets sous ses protocoles et avons de vraies connaissances dans la récupération des données des objets. Nous sommes amenés à travailler aussi bien sur l’optimisation d’une chaîne de production pour un industriel que sur la mise en place d’un capteur spécifique pour un client sur un cas d’usage bien identifié. Nous avons des consultants pour les études et des techniciens pour tout ce qui concerne les technologies embarquées. Ils développent des capteurs, travaillent sur les basses couches réseau pour envoyer des données et faire de la compilation des messages, récupérer les trames de données sur les serveurs, faire de l’intégration dans les bases de données et de l’affichage… Nous sommes capables de faire tout cela de A à Z. Nous animons également un écosystème IoT et sommes partenaires avec SAP, Oracle, Microsoft, IBM, Objenious (Bouygues Télécom), Orange, etc. Lorsque nous avons besoin de compétences particulières sur un projet, nous appelons nos partenaires pour qu’ils nous fournissent les briques nécessaires à sa bonne réalisation.
Dans quels secteurs d’activités vos clients exercent-ils ?
Nous avons beaucoup de clients industriels. Le ROI est facile à atteindre dans l’industrie grâce à la dématérialisation d’une chaîne de production. Nous travaillons également pour d’autres secteurs. Nous nous sommes par exemple penchés sur un dossier avec comme question « Que pourrait être un chantier connecté pour Colas ? ». Prenons l’exemple d’un chantier sur lequel cette entreprise de travaux publics répare une route. Imaginez-vous être le chef de chantier avec un camion qui tombe subitement en panne. Qu’est-ce que vous faîtes ? Vous allez logiquement regarder les sociétés de location qu’il y a à côté et allez louer un camion. Si en revanche vous disposiez d’une application
Colas générale centralisant tous les chantiers de votre entreprise, vous aurez juste à aller sur votre application pour chercher un camion disponible sur un chantier aux alentours. Plus besoin de louer un camion, le gain est immédiat. Cela impliquerait d’équiper chaque véhicule de capteurs pour avoir une vue en temps réel du parc.
Comment voyez-vous évoluer le marché de l’IoT en France ? Votre métier de commercial a-t-il changé ?
Il y a quatre ans, lorsque je suis arrivé chez Eridanis, tout le monde entendait parler de l’IoT mais ils ne savaient pas forcément ce que cela impliquait. Il fallait évangéliser le discours. Lorsque j’allais chez les clients, je leur disais « Voilà ce qu’est l’IoT, maintenant allons-y ensemble ». Aujourd’hui c’est plus simple : tout le monde sait qu’il faut y aller, mais ils se demandent tous comment y aller. Ils font donc appel à nous en ce sens. Le travail du commercial a donc évolué vers des fonctions d’accompagnement, de cadrage. Nous questionnons nos clients sur leur vision d’ensemble, leur maturité par rapport au numérique et sur leurs spécificités sectorielles. Nous regardons comment la digitalisation de l’intégralité de leur chaîne pourrait s’intégrer avec leur ADN. Nous avons travaillé par
exemple avec un exploitant forestier qui a des exploitations partout dans le monde. Il serait trop complexe de mettre un capteur sur chaque arbre, à l’inverse d’un client comme Colas pour lequel il serait plus simple de connecter l’ensemble de leurs véhicules. Chaque client est unique ; nous sommes là pour les challenger afin de rendre leurs projets rentables. L’IoT permet d’optimiser les moyens de communication. Nous n’allons pas envoyer des données pour envoyer des données, mais seulement en transmettre lorsqu’elles sont pertinentes.
Le coût des capteurs a-t-il diminué de manière générale ?
Les capteurs ont un coût fixe qui n’a pas évolué. Cependant, leur prix à l’unité fluctue en fonction de l’échelle de la commande. Il n’y a pas aujourd’hui de clients capables de s’engager sur des grosses quantités. Nous mettons donc en place des prototypages, des POCs avec vingt/trente unités. Il ne faut surtout pas s’arrêter au prix de ces vingt ou trente unités. Il faut définir le prix cible en fonction de la quantité de capteurs souhaité à terme. Lorsque je vais voir un fournisseur, si je lui demande dix capteurs il va me dire que ce sera 200 euros l’unité imaginons. Si j’en veux 1 000, il va me les faire à 150 euros pièces et si j’en commande 100 000, il baissera son prix à 40 euros. Nous n’allons plus du tout calculer le même ROI entre une unité à 200 euros et une autre à 40 euros.
Comment les objets connectés influent-ils sur la connaissance des clients ?
L’internet des objets améliore la connaissance des clients de nos clients. Il permet de reprendre le lien avec les clients finaux. Plus nous plaçons d’objets chez ces clients, plus nous connaissons leurs habitudes (alimentaires, de vie…). Alexia d’Amazon a été créée pour emmagasiner un maximum d’informations afin de ne plus avoir besoin d’aller sur internet pour passer une commande. La personne va simplement demander à Alexia de passer automatiquement un ordre d’achat en fonction de l’historique de commandes, de ses préférences. Prenons une personne en train de se brosser les dents. Elle dit : « Ah mince, ma brosse à dents commence à être usée ». Alexia va l’entendre et va ajouter votre marque de brosse à dents dans la liste de sa prochaine commande internet.
Ce type d’objet connecté ne posent-ils pas un problème éthique d’intrusion dans la vie privée des gens ?
Ma vision personnelle est que si ne vous voulez pas être dans votre siècle, il faut s’installer au fond d’une grotte et ne plus bouger. Aujourd’hui lorsque vous sortez de chez vous, vous avez entre 100 et 200 caméras qui vous prennent dans leur ligne de mire sur un trajet domicile-travail. En Chine est sorti un système de points de civilité contrôlé par des caméras, avec des sanctions et récompenses en fonction du respect des règles. C’est le futur. Nous pouvons discuter autour du fait que c’est bien ou pas bien, mais il n’y a que ceux qui ont des choses à se reprocher qui trouvent que ce n’est pas bien. Personnellement, cela m’exaspère de marcher sur un trottoir avec des crottes de chien, de glisser sur des mégots et de voir des déchets juste à côté des poubelles. J’ai envie de laisser une belle planète à mes enfants et non une Terre polluée. Il y a toujours des humains qui débordent, il faut du
contrôle. Pensez-vous que chaque personne qui achète un téléphone portable sait que son opérateur sait exactement au mètre près où il est ? Pensez-vous que chaque personne qui achète un iPhone sait qu’Apple entend l’intégralité de ses conversations via son assistant vocal ? Il est certes possible de désactiver Siri, mais nous nous privons alors de plein de fonctionnalités. Il faut savoir dans quel monde nous voulons vivre. A partir du moment où vous aurez la conscience que vous n’avez plus la liberté, vous vous direz peut-être qu’il faut bien vivre avec ce monde. La pièce d’identité ou le passeport permettent d’effectuer des reconnaissances faciales, et tout le monde en a. Nous nous approchons des films ou séries comme Minority Report et Person of Interest. Dans vingt ans, on verra bien.
Comment la France se situe-t-elle par rapport aux autres pays sur le sujet de l’Internet des Objets ?
Nous sommes des précurseurs aussi bien en termes d’écosystèmes qu’en start-up. Lorsque vous allez au CES à Las Vegas, vous vous rendez compte de la grande représentation de la French Tech. Le problème est qu’il n’y a personne pour garder les cerveaux en France. S’il y avait une vraie démarche d’accompagnement sur le long terme, ces personnes resteraient. Mais, toutes les grosses sociétés françaises n’ont jamais aussi bien fonctionné qu’aujourd’hui. Elles ne s’embêtent donc pas forcément à rechercher de nouveaux modèles.